Rien n’était allé comme elle l’avait souhaité au moment même où les portes d’ascenseur c’étaient ouvertes. Ca aurait dû se passer autrement, si elle ne l’avait pas embrassé. Ils seraient restés dans les bras l’un de l’autre, à se consoler du mieux qu’ils pouvaient, se parlant pour ne pas céder à la panique de nouveau. Puis ils se seraient peut-être moqués nerveusement d’un peu tout. Shintaro et ses manies. Ou ils auraient imaginés des scènes drôles pour se détendre.

Peut-être même qu’ils se seraient balancés encore un peu des vacheries dans la tronche pour savoir ce qui coinçait entre eux, afin de passer l’éponge sur tout ça et pouvoir faire « ami-ami ». Elle ne savait pas, et ne saurait jamais. Car la porte c’était ouverte sur ce baiser et… La panique, la surprise, l’affolement, le trouble, l’agitation soudaine, la crainte… trop de sentiments qui c’étaient mélangés. L’amour. Mais son cœur avait cessé de battre.

Pas une seconde Aya n’avait pensé à ce qu’avait pu ressentir son frère –il s’en fichait de ses sentiments à elle, n’est-ce pas. Il n’était pas au courant, alors… elle devait être la seule à se sentir mal d’avoir offert une chose de si précieuse. Il n’y avait eu que de l’incompréhension, tout c’était si vite déroulé, si vite précipité qu’elle n’avait même pas comprit pourquoi elle avait agit ainsi avec Takao.

Son univers avait dû s’écrouler sous ses pieds –et c’était la première fois qu’elle était si méchante avec quelqu’un ! Sa copine, elle ne la connaissait même pas. Et c’était sûrement quelqu’un de bien. Dans tous les cas, elle ne voulait pas briser son couple, ce n’était pas son intention.

En plus de ça, elle l’avait dit bas, comme pour que personne n’entende, mais fatalement, il l’avait entendu. Avait-elle parlé plus fort qu’elle ne l’avait pensé ? Inconsciemment peut-être, elle ne savait pas. Elle avait juste voulu le serrer dans ses bras, clamant mentalement son prénom pour le serrer contre elle. Profiter de son parfum, de son corps, de son aura rassurante. Qui était juste une aura menaçante à l’instant même où il l’avait repoussée.

Ce simple geste avait eut l’effet d’une bombe dans son cœur. Et le suivant avait fait s’écrouler son monde. Jamais elle n’aurait pu prédire qu’un jour son frère –l’homme qu’elle aimait le plus sur cette planète- allait la gifler. Honte d’elle ? Oui. Non. Peut-être. Elle ne savait pas, elle était trop perdue pour comprendre comment elle en était arrivée là. Une gifle.

Et des larmes. Pas les siennes, non. Celles de son frère. Son frère qui était sur le point de pleurer. Pour quoi ? L’attente, l’incompréhension, le doute, la peur, le baiser, la scène, son comportement, le choc, la gifle… ? Tout ça en même temps, ou juste quelques uns de ceux là ? Elle avait fait pleurer son frère comme d’autres l’avaient fait…

Pas une parole, pas un geste. Elle était restée sur place sans pouvoir le regarder davantage. Il ne voulait d’ailleurs sans doute pas qu’elle le fasse –puis en avait-elle seulement la force ? Elle l’avait fait pleurer. Puis il l’avait giflée. C’était certain : il ne l’aimerait plus jamais après ça.

N’importe qui aurait pu dire que ses pensées étaient exagérées. Il restait son frère mais… si elle, elle ne parvenait pas à s’excuser, elle ne pourrait plus aller le voir. Et Takao… Emmenée un peu plus loin, elle tenta de le trouver du regard. Quoi… ? Quand est-ce que son frère était parti ?

C’était comme si son esprit était ailleurs. Elle ne comprenait pas, ne voulait pas comprendre. Des hommes s’occupaient d’elle, elle avait envie de vomir. Puis… elle n’avait pas envie de rentrer, pas envie de le croiser, pas envie de… rien… Aya n’avait envie de rien. Un peu comme vidée de son énergie vitale, elle se laissait faire comme une marionnette.

Pas la peine de l’aveugler avec une lumière, ses yeux suivaient parfaitement. Puis le bracelet de tension la serrait bien trop, aussi. Mais elle ne protestait pas. La gifle n’avait pas été forte mais l’endroit où il l’avait touchée la brûlait encore. C’était lui qui avait fait ça. Par sa faute à elle… Elle devait s’excuser à Takao.

Rien n’avait été calculé, il aurait pu parfaitement s’en douter avec un peu de réflexion. Elle avait voulu l’aider. Juste l’aider comme elle ne l’avait jamais fait avec quelqu’un qu’elle aurait dû haïr. Pourquoi elle ne parvenait plus à le détester comme avant ? C’était si simple quand ils se balançaient des bâtons dans les roues !

Il avait été si gentil, doux, calme et compréhensif. Il avait eut l’attitude d’un frère envers elle. Indéniablement, elle pouvait lui reconnaître toutes ces qualités –elle prendrait son numéro dans son répertoire. Même si Kazunari n’avait probablement pas envie d’entendre parler d’elle, même s’il ne répondait pas une seule fois, elle s’excuserait. Forcément, par message ça perdrait de sa valeur mais… Très honnêtement, elle ne se voyait pas le revoir un jour… Par hasard peut-être, mais elle ne voulait pas laisser toute cette affaire traîner.

Devant elle, des mécaniciens vinrent réparer la cabine, au sol il y avait encore les deux vestes chichement jetées dans l’affolement, et des traces de fraise. Shizuku n’allait pas pouvoir profiter de ces sucreries. Et… elle l’apprendrait également. Puis il était son frère alors… Quoi ? Elle venait de tout perdre, là ? Pour une phrase pas pensée et mal placée ? Putain… c’était ridicule. Elle avait envie de vomir, et de rire maintenant.

Un toucher, subreptice, l’avait électrisée sur place, lui faisant vivement relever la tête. Elle chercha du regard, sans comprendre. Takao. Là, qui partait avec les secours et ne l’avait pas regardé. Juste un toucher sur sa main, ses doigts. Quoi ? Non, elle ne comprenait pas ce qu’il avait voulu dire, faire passer. S’il avait été plus proche, aurait-il crié au scandale ? Il aurait pu, et dû. Emprisonnée dans cette impression trop vivace d’être une nuisance, elle ne pouvait que se dire qu’il lui en voulait. Et il y avait de quoi.

A ce moment là elle avait éclaté en sanglots. Tout lui revenait comme une nouvelle gifle en plein visage. Son frère était parti parce qu’elle l’avait blessé et il avait au moins autant hon te d’elle, qu’elle-même. Takao partait aussi sans qu’elle n’ait pu lui dire quoi que ce soit et elle doutait qu’il ait envie de l’entendre parler. Les secours, juste les secours qui lui donnèrent une boisson sucrée qu’elle rejeta, avant de dire qu’ils allaient la garder un instant avec eux, et la ramener.

Forcément, une gamine de quatorze ans pleurant tout son soule parce que son univers s’était effondré sous ses pieds, elle allait bien ! Ses forces dans ses jambes l’abandonnaient doucement. Le chocolat chaud qu’on avait tendu pour elle était répandu sur le sol –en plus, un peu de sucre lui aurait sans doute fait du bien.

Maintenant elle voulait rentrer et dormir. Dormir. Encore dormir. Dormir jusqu’à tout oublier. Rester dans sa chambre, aller au collège, jouer au basket, jouer de la flûte et dormir. Ne plus rien faire d’autre. Elle voulait revoir ses parents aussi, et les serrer dans ses bras –pourvu qu’ils soient là.
Quand elle était rentrée, un peu plus tard, ils étaient là. Ils étaient là et elle ne pleurait plus, reprenant juste ce visage qu’elle avait habituellement. Tout allait bien, tout allait parfaitement bien. Ils avaient été étonnés qu’elle ait un geste affectif envers eux, évidemment, ce n’était pas courant. Pas du tout. Puis elle était montée dans sa chambre tentant de faire le moins de bruit possible. S’arrêtant un instant devant la porte de son frère. Sans rien dire, sans rien faire, ne pas manifester sa présence. Peu importait s’il avait remarqué ou non.

Aya était allée dans son lit, et s’était allongée. Le Kerosuke qu’elle serrait habituellement contre elle était sagement posé sur sa table de chevet. Et c’était tout, c’était comme ça que la journée avait dû se terminer. Comment se sentait son frère ? Comment se sentait Takao ? … Demain elle s’excuserait, demain… ou quand elle aurait comprit comment ils en étaient arrivés là.