Mayuzumi est plutôt réservé et silencieux. Sa discrétion témoigne plus d’un manque de confiance en lui que d’un caractère froid ou distant. Même si peu de gens ont accès à une quelconque forme d’intimité avec lui, il se révèle très sensible et attentionné envers ceux qui lui sont proches. C’est quelqu’un sur qui l’on peut compter, et qui sait être tolérant vis-à-vis d’autrui. Cependant, malgré sa nature plutôt douce et généreuse, il est mal à l’aise en société et se replie facilement sur lui-même. Cette gêne vient en partie du fait qu’il se sent souvent en décalage par rapport aux jeunes de son âge et à leurs expériences personnelles, étant donné l’enfance recluse qui a été la sienne.

Il aime : le basket, les manga et les choses sucrées.

Dès qu’un nouveau tome de l’une de ses séries préférées est publié, il court l’acheter. Il aime tous les genres. Quant aux sucreries et aux gâteaux, il les adore mais n’ose pas le dire. Comme il apprécie tout particulièrement le chocolat, il est très touché quand une fille lui en offre pour la St Valentin. Il aime aussi les musées d’art japonais, les animaux, et est très doué en calligraphie.

Il n’aime pas : le café, les attractions à sensations fortes et les soirées

Il boit du café pour faire plus adulte, mais il déteste ça. Comme il n’aime pas les sensations fortes, il ne va jamais dans les parcs d’attractions. Il est habitué à la solitude et n’a pas d’amis proches, vu qu’il ne va pas naturellement vers les autres ; ce qui n’empêche pas son entourage de l’apprécier. Il part parfois dans ses pensées en contemplant fixement quelque chose, ce qui a le don de plonger ses plus proches voisins dans la perplexité. En général, sa présence dans une pièce passe inaperçue. Il n’est jamais sorti avec personne, et la seule fois où il est tombé amoureux (de son meilleur ami, au collège), c’était un amour platonique et à travers lequel il cherchait surtout à se rassurer, en créant un lien fort avec une personne extérieure. Il n’a jamais parlé à personne de ses sentiments pour ce garçon à l’époque. Il pense que cela ne ferait qu’envenimer davantage le ressentiment de sa famille à son égard, et n’ose pas risquer de se faire définitivement mettre à la porte.
Comme il a beaucoup d’argent, il ne se soucie pas d’en gagner et n’a pas de petit boulot. Il est bon élève et s’entraîne énormément au sein du club de basket. Il souffre d’un complexe d’infériorité vis-à-vis de son grand-père, qui depuis son entrée au lycée le déprécie et ne s’adresse à lui que rarement, et toujours avec une grande froideur.

Les fleurs de cerisiers furent singulièrement précoces, le jour de la naissance de Chihiro. Au premier jour de mars, les arbres se paraient déjà de leurs petits bourgeons roses. Aux yeux des doyens de la maison Mayuzumi, cela ne pouvait être qu’un signe de très bonne fortune pour le nouvel héritier de la famille. D’autant plus que, pour couronner le tout, l’enfant était du signe du rat. Tout comme son grand-père, qui trônait depuis des décennies à la tête de son illustre famille.
Pour une maison aussi religieuse et dévouée à la tradition que l’était celle des Mayuzumi, de tels auspices ne laissaient aucune place au doute : cet enfant était né pour être un chef talentueux et adoré de tous.

Comme le voulait la coutume, Chihiro fut élevé durant les sept premières années de sa vie comme une petite fille, afin d’exacerber sa pureté et sa sensibilité au monde de grâce et de piété dans lequel il évoluait. Il apprenait à contempler le changement des saisons, à prier dans les sanctuaires shintos de Kyôto et à maîtriser à la perfection les arts nobles. Comme le présageait son affiliation zodiacale, l’enfant faisait preuve d’un talent incontestable dans tout ce qu’il entreprenait : il récitait les textes sacrés avec une précision prodigieuse dès l’âge de 5 ans, jouait du shamisen, chantait, et dansait comme nul autre lors de la fête du Nouvel An. Pour son grand-père, il était la fierté de la famille, son passé et son avenir entremêlés. Il ne le fit pas aller à l’école, et lui assigna un précepteur au sein de la résidence familiale, pour le préserver de ce qu’il désignait comme la corruption du monde extérieur.
Tous les membres de la maison Mayuzumi faisaient preuve d’une révérence surannée envers le chef de famille ; à l’exception de la mère de Chihiro. Femme de « l’extérieur », comme l’appelaient les natifs de cette famille conservatrice et sclérosée, elle n’avait jamais été jugée digne d’en faire partie. Seulement, les anciens n’avaient eu d’autre choix que d’accepter son union avec le fils du vieux Mayuzumi. Car leur amour en lui-même tenait du miracle, et nulle autre femme n’aurait pu veiller sur son mari comme elle l’avait fait. Le père de Chihiro, depuis son plus jeune âge, était atteint d’autisme. Face à son mutisme forcené, la famille avait désespéré d’obtenir un jour un héritier. Et puis, par un heureux vent de fortune, cette jeune orthophoniste était arrivée à la résidence, et il s’était miraculeusement épanoui à ses côtés, au bout de 20 longues années de silence. Ainsi, lorsque Chihiro vint au monde, son grand-père avait déjà pour lui un avenir tout tracé d prestigieuse relève à la tête du clan Mayuzumi, et consacra toutes ses forces à l’élever dans les plus strictes coutumes familiales. Sa mère s’y opposa : elle voulait que son fils ait une vie riche, et libre, à l’extérieur de leur domaine. Elle aimait tendrement son enfant et, s’il y avait une chose dont il devait être préservé, c’était de l’influence de son grand-père paternel.
Mais le destin ne lui offrit pas le temps de l’en affranchir : malgré son jeune âge, elle fut emportée par un cancer des poumons en quelques mois, laissant un mari définitivement brisé, et un petit Chihiro à la merci de la mégalomanie du chef de famille.

Le premier contact qu’eut l’enfant avec des jeunes gens de son âge ne survint qu’à son entrée au collège ; il venait tout juste d’avoir 12 ans. Mais ce fut là le début de la période la plus sombre de sa vie. Ignorant des goûts et des modes de vie de ses camarades de classe, et de fait hermétique à tout relation avec eux, Chihiro perçut cruellement la dissolution du sentiment de sa propre identité au fil des mois. Hors du cocon de soie que lui avait offert sa famille depuis sa plus tendre enfance, il n’était plus personne, n’intéressait personne, et se sentait invisible. Il obtenait d’excellents résultats scolaires, ce qui, comble du désespoir, lui attirait l’animosité des autres élèves. Il en vint à se demander si, au bout du compte, toute cette éducation à la sensibilité et à la contemplation de la nature n’avait pas servi qu’à le rendre plus vulnérable à l’hostilité du monde réel.

C’est alors qu’il le rencontra. C’était un garçon aux cheveux noirs, pâle, pas très grand, dont les parents voyageaient beaucoup pour raison professionnelle. Il arriva en 2ème année de collège et, ne connaissant personne, se rapprocha du seul enfant qui, comme lui, se tenait à l’écart. Au début, Chihiro ne lui adressa pas un mot. Comme son père, le silence l’avait gagné peu à peu, envahissant son cœur comme la marée noire empoisonne la mer. Le garçon s’en était accommodé, il aimait parler à Chihiro parce qu’il savait que même s’il ne répondait pas, il l’écoutait. Et puis, lorsque vint la fin de la période d’inscription aux clubs d’activité, il lui proposa de but en blanc de rejoindre le même club que lui. Devant le regard interrogateur de Chihiro, il lui confia que sa passion depuis toujours, c’était le basket.
C’était la première fois de sa courte existence que Chihiro entendait ce mot. Lorsqu’ils jouèrent pour la première fois avec l’équipe du club, il ne marqua pas un seul panier. Mais il éprouva un sentiment inédit : il était exalté. Etait-ce parce qu’il pratiquait une activité aux côtés de son ami, ou bien… se pourrait-il qu’il ait mis le doigt sur quelque chose qui semblait l’attendre depuis toujours ?
Vint le jour de leur premier affrontement sportif contre un collège voisin. Chihiro n’était toujours pas très doué pour dribbler et marquer. Mais au beau milieu de la rencontre, sa complicité avec son meilleur ami changea le cours du match. Avec une précision hors normes, il réalisa des passes exceptionnelles qui permirent à son coéquipier, lui-même très bon joueur, de renverser le score. Ils gagnèrent, et leur équipe le porta aux nues. Cette reconnaissance inespérée de la part de ses camarades lui fit un effet saisissant. Il se sentait à sa place, parmi eux. Il savait à présent ce pourquoi il était fait, il avait trouvé sa raison de vivre.
Peu de temps après, sa langue se délia. Il ne parlait d’ordinaire pas beaucoup, mais un soir de printemps où ils étaient assis tous les deux sous les cerisiers, il raconta à son ami l’enfance qui avait été la sienne, et la fonction de chef de famille qui lui était échue. Après le collège, il n’aurait sans doute plus de contact avec l’extérieur. Et ce qu’il savait avec certitude, c’est que plus jamais il ne toucherait un ballon de basket. Ce jour-là, son ami entra dans une colère noire, comme jamais il ne l’avait fait. Il s’insurgea contre son défaitisme, lui cria qu’il avait un talent prodigieux, et que s’il abandonnait sans se battre, il serait le dernier des ratés. Et quand Chihiro répondit qu’il ne pouvait rien y changer, le garçon partit. A la rentrée suivante, celle de sa dernière année de collège, il n’était plus sur les listes. Ses parents étaient repartis, et lui s’était envolé avec eux. Dès lors, Chihiro traîna au fond de lui un remord mordant, celui de l’avoir laissé s’en aller avec l’idée qu’il était un lâche, et même un traître à leur amitié. Et avec la culpabilité fleurit un autre sentiment, quelque part en lui : avec sa disparition, il comprit combien il l’aimait, désespérément. Ce garçon qui l’avait sorti du silence et de son monde incolore. Mais il était trop tard.
Alors, la seule chose que Chihiro put faire, ce fut de continuer le basket. Il s’y jeta à corps perdu et fit des progrès fulgurants. Cette année-là, il comprit qu’il aimait sincèrement ce sport, et qu’il était voué à y consacrer toute son énergie.
Constatant son indéniable talent, le coach finit par le convaincre de rejoindre un club de renom à Kyôto pour ses années de lycée. Et le même soir, pour la première fois, Chihiro parla de ses ambitions à son grand-père ; une terrible dispute éclata. Ce dernier était ulcéré de voir son précieux pupille se consacrer à une activité aussi futile et révoltante d’occidentalisme, et clama qu’il n’en tirerait jamais rien de bon. Devant l’obstination douloureuse de Chihiro, il le mit au défi : s’il se hissait avec son équipe au rang de n°1 national pendant ses trois années de lycée, il le laisserait libre de poursuivre sur cette voie. Poussé par une fougue nouvelle, le jeune homme accepta le marché.

Plus de deux ans s’étaient écoulés depuis la fin de sa scolarité au petit collège de Kyôto. Chihiro s’était installé seul, dans un appartement grassement payé et meublé par sa famille, dont le luxe lui paraissait tout à fait superflu. Mais qu’importent les détails, il était à proximité de son lycée, et c’était tout ce qui comptait. Depuis qu’il avait rejoint Rakuzan, Chihiro avait tenu parole : il avait poursuivi le basket. Mais la satisfaction qu'il pouvait en retirer n’était en rien comparable à celle qu’il avait éprouvé du temps où il jouait en 2ème année de collège. Sa motivation chuta en flèche, alors qu'il perdait peu à peu de vue ce qui lui avait fait croire qu'il resterait dévoué à ce sport, quoiqu'il arrive. Il ne devint titulaire qu'en troisième année, en essuyant désillusion sur désillusion. La réalité le frappa de plein fouet : cette équipe n'était pas celle qu'il avait connu avec elle. Ses joueurs luttaient pour gagner. Et au sein de cette étouffante atmosphère saturée d'ambitions étriquées, Chihiro n'avait pas sa place. Lui, contrairement aux autres, ne savait pas jouer seul.
La succession de victoires du club en serait presque devenue monotone, si le capitaine de l’équipe n’avait pas laissé son poste à pourvoir, ayant terminé ses trois années et s’apprêtant à voler vers d’autres horizons. Pour un joueur aussi effacé et peu fédérateur que l’était Chihiro, il était exclu qu’il prenne sa succession. D’autant qu’il faisait preuve d’une aversion instinctive pour tout poste nécessitant une quelconque forme d’autorité. Quoi qu’il en soit, le problème de vacance ne se posa que jusqu’à l’arrivée des nouveaux joueurs de première année. Parmi eux se trouvait la relève du club de Rakuzan. Aux yeux de tous, Chihiro compris, il était clair que leur équipe était à l’aube d’un changement sans précédent. Alors qu'il était prêt à rendre son tablier, le nouveau vint le trouver, un jour qu'il tournait négligemment les pages d'un manga sur le toit du lycée. Cette main tendue, c'était sa dernière chance, une opportunité à prendre ou à laisser.
Chihiro pensait pourtant s'être résigné à cesser d'imaginer que les événements pouvaient prendre une tournure différente. Mais deux imprévus vinrent ébranler son pessimisme : il ne pouvait le nier, ce nouveau venu avait quelque chose de singulier, d'irrésistiblement attirant et inquiétant à la fois. Et surtout, depuis que Chihiro avait intégré le lycée Rakuzan, il était le premier à lui témoigner de a reconnaissance. Pour la première fois, en jouant aux côtés du nouveau venu, Chihiro eut l’impression de ressentir à nouveau cette exaltation, ce sentiment qu’il croyait emmuré au plus profond de ses souvenirs de collège, entre un ballon de basket et des fleurs de cerisiers.